« Gabonaises ! » : elles rééquilibrent la balance du genre

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Afrique Gabon
« Gabonaises ! » :
elles rééquilibrent
la balance du genre
À l’occasion de la Journée internationale des femmes du 8 mars, l’Agence française de développement a souhaité relayer la parole de femmes d’exception du Gabon, via une exposition sublimée par la talentueuse photographe Bunny Claude Massassa. Nous vous invitons à découvrir ici cinq de ces Gabonaises qui militent, chacune dans leur domaine, pour une société plus égalitaire.

Les Gabonaises prennent la parole. L’Agence française de développement (AFD) est à leurs côtés au quotidien depuis de nombreuses années, à travers des projets menés en partenariat avec tous les acteurs engagés du pays. Les progrès déjà accomplis sont nombreux : parité fortement encouragée, levée de certaines discriminations juridiques, stratégie décennale du pays « 2015-2025, Décennie de la femme » ambitieuse.

Mais il faut faire davantage. C’est le message des Gabonaises que nous vous présentons ici ; elles racontent les défis quotidiens qu’elles affrontent sur leur lieu de travail, dans l’univers des nouvelles technologies ou encore à l’école. Elles disent avec force un message simple : il reste du chemin à accomplir pour faire disparaître les discriminations et briser les stéréotypes.

Et ce notamment en Afrique, où l’éducation, la santé maternelle et infantile et l’accès aux droits sont des enjeux essentiels sur la voie de l’égalité entre les femmes et les hommes. L’AFD répond à ces défis avec son objectif stratégique « 100 % lien social », notamment à travers l’inclusion des femmes et la lutte contre les inégalités femmes-hommes.

Ci-contre : Ada Mvono, sage-femme au Gabon : « Il faut vulgariser l’éducation autour de la santé maternelle et infantile » © Bunny Claude Massassa / AFD
 

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Ouvrir les esprits grâce aux nouvelles technologies
Nancy Dondia, coordinatrice générale au sein de l’ONG Acte.

Qu’est-ce que l’ONG Acte ?
Nancy Dondia : Acte est l'Association pour la consolidation des technologies de l’éducation. Sa fonction première est de faciliter l’intégration des technologies dans l’éducation. Notre cible, ce sont les jeunes ; nous travaillons dans des établissements, du primaire au supérieur. Nous y accueillons aussi des « externes », des jeunes non scolarisés. Au total, nous recevons près de 10 000 jeunes par an dans nos centres.

Comment intégrez-vous la question du genre dans vos activités ?
Cela fait maintenant trois ans que nous mettons l’accent sur les filles dans nos programmes. Quand je suis entrée à Acte, les filles travaillaient surtout dans la partie administrative. Elles avaient peur de se lancer dans ce qui était vraiment numérique. Et puis, on s’est dit qu’il fallait davantage les pousser, les exposer dans toutes les communautés de pratiques. On s’est alors rendu compte que les filles étaient les meilleures. Depuis, dans tous les projets que nous lançons, j’exige un quota de filles.

Ça fonctionne ?
Oui. Mais nous devons lutter contre une discrimination involontaire, inconsciente et historique. Quand nous étions jeunes, les parents avaient tendance à offrir tout ce qui était « tech » aux garçons. Un jeu intéressant à l’époque par exemple, c’était la Game Boy. Mais il n’y a jamais eu de « Game Girl » ! Ce qui change aujourd’hui, c’est que les technologies ont un rapport avec le social. Or, les filles sont beaucoup plus sociables que les garçons. C’est aussi pour cela que leur place dans le domaine de la technologie se renforce chaque jour.

Il y a encore des progrès à faire ?
Bien sûr. Les filles sont encore minoritaires dans les filières scientifiques et dans les carrières technologiques, notamment la partie création/créativité. Mais ça ne veut pas dire que pour faire de l’informatique il faut forcément passer par les séries scientifiques ! C’est cette tendance qu’on veut inverser chez Acte. On expose les jeunes filles dès le plus jeune âge aux nouvelles technologies. On leur dit « Vous pouvez coder, vous pouvez faire de la programmation », et cela crée une étincelle.

Nous avons aussi mené un programme d’incubation des talents du numérique, financé par l’Union européenne, auprès des jeunes déscolarisés. On a veillé à ce qu’il y ait une très forte participation de filles. Elles ne connaissaient rien aux technologies, n’avaient jamais touché une souris. On les a formées en programmation et elles sont devenues capables de faire des dessins animés, des jeux vidéo, etc. De femmes en situation d’échec, elles sont devenues des femmes épanouies, qui retrouvent de l’espoir et la volonté de se battre.

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L’école pour promouvoir l’égalité des sexes
Darene Ayingone Mabele (à g.) et Elfried Rosina Gnoumba Ndengue, élèves au collège Georges Mabignath à Libreville.

Darene et Elfried sont en classe de troisième au collège Georges Mabignath de Libreville, la capitale du Gabon. Bonnes élèves, elles comptent parmi les meilleures de leur établissement et souhaitent devenir respectivement médecin et juriste.

Pleines d’ambition et soutenues par leurs parents, elles croient à l’égalité de genre. Il n’est donc pas question que les garçons s’estiment supérieurs aux filles, d’autant que « en classe, les filles dominent de plus en plus ». Si les filles ont de meilleurs résultats scolaires, il y a, selon ces collégiennes, une autre explication : « En tant que filles, nos familles nous surveillent beaucoup, on n’a pas le droit de sortir. C’est différent pour les garçons. »

Au collège, elles remarquent des comportements à l’égard des filles qui vont de la violence verbale à la violence physique. Le plus souvent, cela prend la forme de moqueries. « C’est récurrent à l’école. On rit de tout, parfois sans savoir qu’on fait du mal aux autres », explique Darene. En général, les moqueries sont basées sur le physique ou l’accoutrement.

« Pour moi, les violences basées sur le genre à l’école renvoient aux provocations. Ceux qui se sentent supérieurs veulent imposer leur domination sur les autres. Mais parfois, cela part de la cellule familiale, analyse Elfried. Certains grandissent avec des parents violents. Influencés par ces comportements, ils les reproduisent sur les autres. »

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À la lutte pour imposer son autorité aux hommes
Lyliana Gladys Boura, écogarde à l’Agence nationale des parcs nationaux (ANPN).

Lyliana Gladys Boura est écogarde dans le parc d’Akanda, l’un des 13 parcs nationaux du Gabon. C’est la seule femme qui occupe un poste de chef d’équipe sur les 26 que comptent les parcs nationaux. Lyliana lutte contre les exploitants illégaux de bois, les pêcheurs et les braconniers. Mais le parc d’Akanda n’est pas le plus exposé. Ce que craint davantage l’écogarde, c’est le gros temps sur l’eau. « On a peur que le bateau chavire. Est-ce qu’on va arriver à la base ? On a l’impression que la vie s’arrête là. Et on pense tout de suite "Ah mon Dieu, les enfants" ».

Mère de deux enfants, la « ranger » avoue que le métier n’est pas facile pour une femme, encore moins pour une mère. Elle n’a pas de compagnon et c’est sa mère qui l’a aidée à s’occuper de sa progéniture. Les missions sur le terrain durent 21 jours, sans possibilité de revenir à la maison. Si elle continue, c’est d’abord par passion. « Peut-être parce que j’aime la nature. Et puis nous sommes en contact avec le monde entier. Nous recevons des formateurs du Sénégal, de l’Angleterre, des États-Unis. On partage les expériences de travail. »

La jeune femme espère qu’à terme les missions de terrain pourront être aménagées pour les femmes : des missions plus nombreuses mais plus courtes, une semaine par exemple. Elle souhaite également que les femmes puissent un jour prétendre à un poste administratif au bout de cinq ans, au lieu des onze ans de terrain actuellement requis.

Lyliana avoue sans mal que les relations avec ses collègues du sexe opposé sont souvent compliquées, surtout avec les hommes plus âgés : « Il y a un problème de marginalisation. On se dit qu’une femme ne peut pas donner des ordres à un homme. Il faut être courageuse, au-dessus des menaces et déterminée. Beaucoup d’hommes pensent que ce sont les relations qui m’ont amenée là. Mais je ne me laisse pas faire. Si l’homme veut imposer son autorité d’homme, je m’impose aussi. Je lui fais comprendre que nous sommes égaux dans notre métier. Si j’ai un ordre à lui donner, il est obligé de l’accepter. S’il n’est pas d’accord, je fais un rapport. »

Il n’y a pas de traitement spécial pour les femmes dans le corps des écogardes. Chaque agent a son matériel : une tente, une couverture, un sac. Dans les bases vie, il n’y a pas non plus de dortoir prévu spécifiquement pour les femmes. « Quand les techniciens sont venus pour construire la base, nous étions trois femmes et avons soulevé ce point. Mais on nous a répondu que ce n’était pas prévu. Alors on s’organise comme on peut, les hommes ont leur dortoir et les femmes s’installent dans des salles restées libres. Les douches et les WC sont communs. »

Mme Boura pense que sa filière peut offrir de belles opportunités pour les femmes : « La forêt est l’affaire de tous. Il n’y a pas que les hommes qui peuvent être écogardes. Une femme, c’est d’abord une mère. Elle protège, éduque et oriente. En tant qu’écogarde, nous assurons la protection de la biodiversité du Gabon. Alors, le lien doit se faire naturellement ! »



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Elles déconstruisent les stéréotypes sur le genre
Marielle Ntsame Nguema (à g.), consultante, directrice générale et membre de l’ONG Agir pour le genre, et Nicole Nguema Metogo, consultante.

Que dit la législation gabonaise sur la question du genre ?
Nicole Nguema Metogo : Le cadre légal est assez favorable à l’égalité des sexes, qui est établie dans la Constitution. Nous avons aussi une loi sur les quotas pour les instances décisionnelles et les postes à responsabilité qui fixe la participation des femmes à 30 %. Néanmoins, il y a une différence entre les textes et la réalité. C’est le cas pour la loi sur les quotas, ou des cas trop nombreux de spoliation de la veuve et de l’orphelin par la belle-famille. Par ailleurs, notre corpus juridique regorge d’environ 98 dispositions discriminatoires.

Les femmes connaissent-elles leurs droits ?
Nicole Nguema Metogo : On s’est rendu compte que beaucoup ne les connaissent pas. Nous essayons de les former sur les conventions internationales et sur le corpus juridique local.

Marielle Ntsame Nguema : Le ministère de la Famille et l’ONG Agir pour le genre ont élaboré des brochures pour aider les femmes à se faire entendre, notamment dans le cadre des violences faites aux femmes. Un atelier de validation de la stratégie nationale de lutte contre les violences basées sur le genre a aussi eu lieu.

Quelles sont les discriminations les plus flagrantes et d’où viennent-elles ?
Nicole Nguema Metogo : Les discriminations principales découlent du contexte socioculturel et des stéréotypes en général. Par exemple, dans une famille, quand l’enfant est malade, c’est la femme qui doit s’en occuper. C’est aussi le cas pour le choix des filières : les filles vont vers les filières littéraires et les garçons vers les filières scientifiques. Il y a aussi l’image de la femme dans notre société. En Afrique on dit « la femme ne parle pas ». Si elle le fait lors d’une réunion de famille, on estimera qu’elle est impolie. Ça se traduit aussi dans la sphère publique.

Marielle Ntsame Nguema : Il y a aussi la question du foncier, au Nord comme au Sud. Au Nord, la terre appartient à l’homme. La femme la travaille et l’utilise dans le cadre du mariage mais n’a aucun droit de décision sur cette terre. Au Sud, on dit que la terre appartient à tout le monde. En réalité, la femme exploite la terre mais ne peut pas décider de la vendre. La décision revient à l’homme.

Y a-t-il des différences entre milieu rural et milieu urbain ?
Nicole Nguema Metogo : Oui. À titre d’exemple, en milieu rural, une femme économiquement faible, qui dépend du mari, aura moins accès à l’information, accédera plus difficilement aux contraceptifs et aura du mal à contrôler ses grossesses.

Que faudrait-il faire pour améliorer les choses ?
Nicole Nguema Metogo : Il faudrait créer un observatoire au niveau de la Primature pour traiter des questions de genre de manière multisectorielle. Avec un tel organe, les budgets publics seraient sensibles au genre et si les budgets sont sensibles au genre, la mise en œuvre des politiques aussi sera sensible au genre.

Marielle Ntsame Nguema : Pour moi il faut commencer dès la base à briser les stéréotypes, parce que le genre est avant tout une construction sociale. La question du genre devrait être traitée dès le primaire, dans les manuels scolaires, pour déconstruire les stéréotypes.

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« Femmes, unissez-vous ! »
Josiane Kinga Delalain, chef comptable à la Société d’exploitation du transgabonais (SETRAG) et présidente de l’Association des femmes du chemin de fer gabonais.

Quel est l’objectif de l’Association des femmes du chemin de fer gabonais, dont vous êtes la présidente ?
Josiane Kinga Delalain : L'association prône la solidarité entre les cheminotes. Elle est là pour enlever le stress, casser les amertumes, tuer les frustrations, supprimer les disparités et aider à oublier les malentendus.

Combien de femmes êtes-vous à la SETRAG ?
Nous ne sommes que 250 femmes sur 1 300 cheminots. Au départ, on avait peur de s’engager dans des métiers techniques. Mais ça vient tout doucement. En 2019 nous avons décidé d’aller dans les lycées techniques et à l’université avec nos collègues qui travaillent sur le réseau ferroviaire, dans les ateliers, avec ceux qui conduisent les locomotives, ceux qui tractent les wagons. Nous allons présenter ces métiers aux étudiants, et surtout aux étudiantes, pour leur dire : « Il ne faut pas avoir peur d’affronter le domaine technique ».

C’est difficile de travailler dans un secteur traditionnellement masculin ?
Oui, c’est souvent dur au début mais les femmes finissent par prendre le dessus. Elles apprennent à discuter, à proposer, à décider.

Comment les femmes se regardent-elles entre elles ?
L’homme est solidaire de nature. Mais l’ennemi de la femme, c’est la femme. Je sais de quoi je parle. Je suis présidente de l’Association et certaines ne voient pas ça d’un bon œil. « Pourquoi c’est elle, pourquoi, pourquoi… ? ». Mais si toi, femme, tu ne soutiens pas la femme, ne demande pas à l’homme de commencer à la soutenir !

Que doit faire la femme pour s’imposer ?
La femme doit surmonter son complexe d’infériorité, apprendre à s’exprimer et à prendre la parole en public. Et elle doit aller au-delà des préjugés de ceux qui disent qu’entre une femme et un homme, l’homme sera toujours au-dessus. C’est l’objectif de notre association : que les femmes se sentent bien dans leur peau au travail, qu’elles participent activement à la vie de l’entreprise, qu’elles se mettent en valeur. Quand elles auront démontré aux hommes qu’elles peuvent travailler autant et aussi bien qu’eux, tout en ayant une vie familiale, elles auront gagné.
Une photographe engagée

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L'auteure de ces portraits de femmes au premier rang de la lutte pour l'égalité de genre, Bunny Claude Massassa, est une artiste pluridisciplinaire d’origine gabonaise, née en 1990. Autodidacte, après des stages effectués à l’agence Afrik’image et au quotidien gabonais L'Union, elle devient l’une des premières femmes à évoluer dans la photographie de presse au Gabon. Elle est aussi la première femme à avoir couvert une Coupe d’Afrique des nations de football en 2017.

En 2016, Bunny crée sa propre structure, Bunny Studio. Très engagée, elle travaille bénévolement pour de nombreuses associations en réalisant des campagnes photographiques, en donnant des cours de photographie aux enfants aux côtés de SOS Mwana ou en organisant des levées de fonds pour Educaf.
En 2017, elle présente sa première exposition à Libreville, intitulée Lumière : l’homme Bantu en quête de connaissance.

En 2018, les photographies de Bunny sont présentées lors de la 13e édition de la biennale de Dakar puis en Ouganda. En 2019, Bunny présentera son exposition « Envoûtement » au festival L’Émoi photographique d’Angoulême.

L’action de l'AFD au Gabon
Deuxième puissance économique d’Afrique équatoriale, le Gabon dispose de sérieux atouts : vastes ressources forestières, terres arables et biodiversité exceptionnelle. Mais le pays doit relever le défi des inégalités, développer ses infrastructures et renforcer l’accès de tous à la santé et à l’éducation.

 

Une salariée du Transgabonais qui relie l'ouest à l'est du pays © Sonier Issembé / AFD
Une salariée du Transgabonais qui relie l'ouest à l'est du pays © Sonier Issembé / AFD

 

Depuis plus de 70 ans, l’Agence française de développement appuie le Gabon dans de nombreux secteurs. Une multitude de projets ont été soutenus en sept décennies, dont certains sont emblématiques : barrage de Kinguélé en 1975, extension de l’aéroport de Libreville et construction du port d’Owendo en 1988, route Eboro-Oyem-Mitzix en 1993. Aujourd’hui, les interventions de l’AFD au Gabon se répartissent entre les secteurs de l’éducation, de la santé, des infrastructures de transport ferroviaire, de l’agriculture et de l’environnement, sans oublier le secteur bancaire et le privé. 

Sur la question du genre, notre action s’inscrit pleinement dans la stratégie du groupe AFD qui fait de la promotion de l’égalité femmes-hommes un objectif majeur. Au Gabon, l’AFD a réalisé un diagnostic sur le genre, ainsi qu’une étude spécifique sur les femmes dans le monde rural incluant des recommandations d’actions concrètes permettant de lutter contre les discriminations existantes. Ces recommandations pourraient être mises en œuvre prochainement dans le cadre d’un projet agricole.

Les témoignages recueillis dans le cadre de cette exposition sont tirés des projets que l’AFD mène actuellement au Gabon avec nos partenaires publics (ministère de l’Éducation nationale, ministère de la Santé, Institut gabonais d’appui au développement, Agence nationale des parcs nationaux), privés (SETRAG, BICIG, Rougier Gabon) et de la société civile (AEDH, Femme lève-toi, Acte, 3S, Agir pour le genre). Une approche partenariale indispensable pour construire, ensemble, un monde en commun.