Afrique du Sud, ouvriers
Le salaire minimum national est instauré depuis le début de l’année en Afrique du Sud, un pays toujours en proie à de très fortes inégalités. Si ses modalités provoquent des débats, les chercheurs à l’origine de son application sont convaincus de son efficacité pour réduire la pauvreté, sans détruire les emplois les plus précaires.

Les fêtes étaient passées mais il restait encore un gros cadeau au fond de la hotte : le 2 janvier 2019, le salaire minimum national est entré en vigueur en Afrique du Sud (voir notre « portrait data » du pays en fin d'article). Une mesure qui devrait profiter à environ 6 millions de Sud-Africains, selon le gouvernement.

Fixé à 20 rands de l’heure, soit 3500 rands par mois (228euros), ce salaire minimum ne sera pas imposé aux entreprises en difficulté financière ; une exemption loin d’être anodine dans un pays à la croissance stagnante. D’aucuns critiquent également le niveau de rémunération modeste de ce Smic à la sud-africaine, dans un pays où le revenu national brut par habitant est de 5 430 dollars en 2017 (contre 38 000 dollars pour la France), selon les chiffres de la Banque mondiale publiés en 2017. 


Il n’en reste pas moins que la mesure représente une avancée majeure face au taux de chômage galopant et aux inégalités criantes auxquels est confrontée l’Afrique du Sud. Murray Leibbrandt, professeur à l’École d’économie de l’université du Cap et directeur de la Southern Africa Labour Development and Research Unit (SALDRU), est un des sept experts de la commission qui a conseillé le gouvernement sur ce projet. Celui qui travaille également avec l’Agence française de développement (AFD) dans le cadre de plusieurs programmes de recherche revient sur le difficile équilibre à trouver dans l’instauration d’une mesure qui bouscule l’économie

Nous soutenions la mise en place dans tout le pays d’un salaire minimum dont le montant était pensé pour maximiser le soutien aux travailleurs vulnérables sans pour autant menacer leurs emplois.

L’économiste, par ailleurs directeur du African Center of Excellence on Inequality Research soutenu par l’AFD, reste malgré tout conscient des limites du dispositif

Pour les syndicats, le montant du salaire minimum décidé n’est pas assez élevé. Il est bien en dessous des minima qui existent dans certaines branches depuis 1997. Mais ces derniers ne sont pas remis en question. Ce salaire minimum de 20 rands de l’heure, on peut penser que c’est faible mais c’est le mieux que nous avons pu faire.

Les promoteurs du salaire minimum estiment aussi qu’il s’agit d’un premier pas, avant de s’atteler à de nouvelles avancées. « Surtout, note M. Leibbrandt, 47 % de la main-d’œuvre est déjà couverte par ce salaire minimum national. Symboliquement, c’est le signe que la société bouge et se soucie des plus vulnérables. » Avant d’en arriver là, quatre années de gestation auront été nécessaires à la maturation du processus. Quels ont été les principaux défis auxquels les initiateurs du salaire minimum ont dû faire face ? Réponse en cinq points :

 

chiffrePourquoi instaurer un salaire minimum ?

Pour un pays qui n’en était pas encore doté, la question se posait. « Les partenaires sociaux ont convenu que la mise en place d’un salaire minimum national était un outil positif pour remédier à la situation de pauvreté et d’inégalité dans notre pays, note le rapport de la commission mandatée par la présidence sud-africaine sur le salaire minimum. À lui seul, il ne résoudra pas tous les défis auxquels nous sommes confrontés, mais c’est une politique applicable, conçue avec un cadre mesurable et concret, et qui bénéficie aux pauvres. Le salaire minimum est à considérer comme étant l’un des outils permettant de combler l’écart salarial – y compris entre les sexes – et de ce fait, de vaincre la pauvreté. » 

 

chiffre La preuve par la recherche

Les études entreprises par divers chercheurs et institutions sur l’impact de cette mesure forte arrivent toutes à la même conclusion : l’introduction d’un salaire minimum national n’a souvent pas ou peu d’effet négatif sur l’emploi. Correctement mis en œuvre, il peut avoir des effets positifs sur les niveaux de pauvreté. Prudence néanmoins, car « un niveau de rémunération trop élevé du salaire minimum aurait un effet négatif sur l’emploi ». Avec pour premières victimes les plus pauvres, ceux-là mêmes qui sont visés comme bénéficiaires par le dispositif. 

  

chiffreQuel niveau de salaire ?

Alors, où mettre le curseur ? Le panel de sept experts associé au rapport a soigneusement soupesé les données et propositions émanant des partenaires sociaux et des autres parties prenantes dans le processus pour parvenir au niveau de 20 rands de l’heure et 3 500 rands par mois comme valeurs de départ du salaire minimum. Un seuil qui « maximise les avantages pour les pauvres et minimise les effets possibles du chômage » dus à l’introduction d’un salaire minimum. « Un chiffre inférieur aurait un effet beaucoup moins important sur la pauvreté et un autre plus élevé commencerait probablement par provoquer plus de chômage », estime le panel qui propose de réévaluer le niveau de rémunération du dispositif une fois par an.

 

chiffre Pour qui ? 

Petites entreprises de moins de dix employés (avec un délai d’un an pour s’ajuster), jeunes salariés, travailleurs dits vulnérables comme les manœuvres ou les employés de maison… Tous les secteurs des emplois potentiellement peu rémunérés sont concernés par le salaire minimum en Afrique du Sud. Ceux dont l’équilibre est le plus fragile bénéficient d’un délai pour s’ajuster ou d’une dérogation provisoire allant de 75 % (personnels de maison) à 90 % (travailleurs agricoles et forestiers) du montant du nouveau « Smic ». Des dérogations clairement appelées à être « supprimées au fil du temps » pour faire du salaire minimum un vrai système universel au niveau national. Les travailleurs indépendants et les travailleurs issus d’une même famille dans des structures informelles restent exclus du système.

 

chiffre Et maintenant ?

Aux institutions de jouer, désormais, pour faire vivre et évoluer le salaire minimum dans le temps. Mais pour éviter l’empilement de structures avec les organismes déjà existants liés aux conditions de travail et à l’égalité au travail, le panel d’experts a proposé qu'une seule institution soit créée pour chapeauter l’ensemble, sous la thématique du travail décent. La « Commission du travail décent » comprendra ainsi trois volets (conditions d'emploi, équité en matière d'emploi, salaire minimum national) et sera dotée d’un centre de données et de recherche visant à éclairer ses travaux.
 

WDD

 

lireaussi

 

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